Ici, le temps est comme arrêté. Mon regard est plongé dans ces photos d’enfants. Tous, assassinés. Respirer devient difficile. Mon corps tout entier est tout d’un coup envahi de la plus grande des tristesses. Dans cette dernière salle du mémorial du génocide perpétré envers les Tutsi que je visite ce jeudi 20 juillet, je me retrouve plongé dans l’une des pages les plus sombres de toute l’humanité. Je fais face à mes souvenirs d’enfance, de ce mois d’avril 1994 où plus d’un million de personnes furent tuées, face aux responsabilités de la France, face à notre histoire, face à la folie de l’Homme, face à la construction de l’avenir aussi. En ce lieu, je suis venu commémorer les victimes de ces atrocités et rappeler que notre pays mettra tout en œuvre pour garantir l’accès aux recherches historiques et éviter qu’un tel drame ne se reproduise. Dernière étape de mon déplacement au Rwanda, j’avais pris l’engagement de venir me recueillir sur cette colline, de prendre le temps de rencontrer réellement cette mémoire. J’en suis sorti bouleversé, marqué pour toujours.
Quelques jours plus tôt, j’arrivais à Kigali pour participer à la conférence Women Deliver, l’un des grands rassemblements des activistes féministes qui a lieu tous les trois ans. Pour la première fois, cet événement international majeur avait lieu en Afrique. J’y participais en tant que vice-président de la délégation aux droits des femmes et membre du European Parliamentary Forum (dont je viens d’intégrer le Comité exécutif), une instance qui rassemble les parlementaires européens engagés dans la défense et la promotion des droits sexuels et reproductifs. De cette rencontre, je retiendrai en premier lieu l’énergie et l’engagement des 6000 activistes venues du monde entier. Des femmes et des hommes qui se battent au quotidien pour la défense et le développement des droits des femmes, des personnes LGBTQ+ également. Les échanges furent nombreux sur les réalités que nous connaissons dans chacun de nos pays, sur les évolutions législatives à adopter, sur l’urgence des actions à mettre en place et les réseaux de solidarité à créer pour avancer.
Je retiendrai aussi le constat unanimement partagé de l’époque que nous vivons et du développement des mouvements conservateurs et anti-choix partout à travers le monde. Il ne s’agit pas d’un sentiment mais bien d’une réalité. Aujourd’hui, les droits des femmes sont attaqués, qu’il s’agisse de l’accès à la santé, à l’éducation ou bien de l’égalité professionnelle. Jusqu’au sein de la conférence Women deliver elle-même lorsque la cérémonie d’ouverture est construite en partie autour de la prise de parole de Katalin Novák, présidente de la République de la Hongrie. Son discours pro-famille axé sur la culpabilisation des femmes a représenté une véritable provocation. Cette intervention, le fait que l’une des principales responsables anti-choix intervienne dans cet événement sans que la répartie ne lui soit donnée représente à mon sens une défaite pour l’ensemble de la communauté progressiste internationale. Il faut en avoir conscience. Les mouvements anti-choix sont organisés, financés et ils sont à l’offensive. Féministes, progressistes, humanistes, nous ne devons plus rester inertes face à cette tendance qui se propage. Nous sommes cette répartie. Nous devons étudier ces mouvements, comprendre leur fonctionnement et les combattre démocratiquement sans relâche. C’est pour ma part le message que j’ai porté tout au long de cette conférence en promouvant notamment le renforcement des droits sexuels et reproductifs, la légalisation du droit à l’avortement et sa constitutionnalisation que nous sommes sur le point d’adopter en France, la construction d’une diplomatie féministe forte et le développement du soutien financier et politique aux associations féministes.
Nous ne devons rien laisser passer et plus que jamais être mobilisés pour porter les combats féministes avec détermination et transgression.