Seul le prononcé fait foi
Madame la présidente,
Monsieur le Ministre,
Monsieur le président de la commission des lois,
Madame la présidente de la délégation aux droits des femmes,
Mes chers Collègues,
Certains textes sont particulièrement attendus. Celui qui nous réunit aujourd’hui, relatif à la liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse, en fait partie. A moins d’un an du cinquantième anniversaire de la loi Veil, et dans la suite des initiatives parlementaires qui avaient été prises au début de cette législature par les membres de la majorité présidentielle, de La France insoumise, des socialistes, des écologistes et de la Gauche démocrate, je salue le choix du Président de la République de remettre l’ouvrage sur le métier pour permettre une adoption rapide et autonome de cette révision qui doit nous permettre d’introduire dans notre constitution la reconnaissance de la liberté de recourir à l’interruption volontaire de grosses et d’en assurer la protection la plus forte possible. Le Parlement a travaillé en bonne intelligence et nous nous devons de poursuivre sur cette voie. Pour mémoire, en novembre 2022, l’Assemblée nationale a adopté – à une large majorité (337 voix contre 32) – une rédaction fruit d’un consensus transpartisan qui reconnaissait la garantie du droit à l’IVG et à un accès effectif à celui-ci.
Dans la foulée, le Sénat, qui avait jusqu’alors fait valoir sa réticence à l’inscription de l’IVG dans la Constitution, a également adopté une rédaction, certes moins ambitieuse, mais dont le sens était néanmoins clair et historique : les deux chambres souhaitent faire aboutir une révision constitutionnelle sur ce sujet.
Que les choses soient claires ici : si nous combattons ceux qui s’attaquent au droit à l’avortement et aux droits des femmes, nous respectons l’opinion de ceux qui s’interrogent sur l’opportunité d’inscrire le droit à l’IVG dans la Constitution. Nous le savons, réformer notre Constitution est un acte fort et exigeant. Il est la volonté que nous exprimons, nous, constituants, d’inscrire le choix du peuple présent pour le peuple futur. Réformer notre Constitution, c’est au fond marquer le présent pour protéger l’avenir.
En outre, pour le bon déroulé de nos débats, je crois qu’il faut aussi circonscrire le périmètre de nos discussions. Je veux dire clairement en préambule de nos discussions ce que ce projet est et ce qu’il n’est pas.
Il ne s’agit pas aujourd’hui de discuter du cadre législatif en vigueur, ni de préparer de futures évolutions législatives visant à élargir la liberté de recourir à l’IVG.
Nos débats seront scrutés en cas de contentieux et les intentions du Gouvernement et du Parlement doivent être claires : la rédaction soumise n’implique nullement une évolution du droit existant et ne saurait être source d’un nouveau contentieux, par exemple par voie de QPC. Le Conseil d’État est on ne peut plus précis sur ce point.
En revanche, le projet qui nous est soumis remplit l’objectif que nous partageons : faire en sorte qu’il ne soit pas possible de modifier la loi afin d’interdire tout recourt à l’interruption volontaire de grossesse ou d’en restreindre les conditions d’exercice de telle façon qu’elle priverait cette liberté de toute portée.
L’adoption de ce texte nous parait indispensable pour assurer la reconnaissance réelle de cette liberté et renforcer sa protection juridique.
La Constitution recense déjà de nombreux droits et libertés sans distinguer d’ailleurs ces deux notions qui valent l’une pour l’autre, dans ses préambules, mais également dans ses articles : laïcité, égalité entre les femmes et les hommes, interdiction de la peine de mort, libre administration des collectivités territoriales, droit d’asile et bien d’autre. Il n’y a donc pas d’incohérence ou de risque à reconnaître un nouveau droit. Au contraire, il est même de la responsabilité du législateur constituant d’en prendre la responsabilité, sans attendre que le Conseil constitutionnel reconnaisse ou non ce nouveau droit de manière prétorienne.
Ne croyons pas non plus que la protection de l’IVG par la loi est suffisante pour nous prémunir contre tout risque d’atteinte à cette liberté. Certes le Conseil constitutionnel a admis la conformité à la Constitution des différentes réformes concernant l’IVG. Il a considéré que le législateur avait toujours respecté l’équilibre entre la liberté de la femme tel qu’elle découle de l’article 2 de la DDHC et la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme de dégradation.
Notons cependant trois limites à cette protection :
– Premièrement, s’il admet sa constitutionnalité, le Conseil n’a jamais reconnu l’IVG comme un droit ou une liberté fondamentale en soi, comme il a pu le faire dans d’autres cas, la liberté d’enseignement par exemple ;
– Deuxièmement, le Conseil n’a jamais eu à se prononcer sur une restriction du droit à l’IVG et on peut s’interroger sur sa capacité à déclarer inconstitutionnelles de telles dispositions sur le fondement de l’équilibre qu’il a défini et qui repose sur une interprétation déjà extensive de l’article 2 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen ;
– Troisièmement, le Conseil reconnait sur cette question un large pouvoir d’appréciation au législateur, ce qui est bien normal compte tenu du silence des textes constitutionnels en la matière.
C’est cette ambiguïté et cette incertitude que nous souhaitons lever sans priver le juge constitutionnel de son office. La modification de l’article 34 renvoie explicitement à la prérogative du législateur pour encadrer cette liberté qui ne saurait être absolue. L’ajout du mot « garantie », principale évolution par rapport à la rédaction du Sénat qui est très largement reprise par ailleurs, doit renforcer la protection – désormais de rang constitutionnel – de cette liberté contre d’éventuelles atteintes à l’avenir. À l’inverse, la suppression du mot « garantie » rétablirait une incertitude sur l’intention du constituant, voire même indiquerait que celui-ci a contrario n’a pas souhaité garantir ce droit, ce qui serait contre-productif. C’est pourquoi nous resterons impérativement attachés à ce mot.
Plus largement concernant l’ensemble de la rédaction qui nous est proposée par le projet de loi constitutionnelle, je vous le dis Chers collègues, je pense qu’elle est la plus robuste et la plus opportune sur le plan juridique. Au regard des auditions que j’ai menées, de l’avis du Conseil d’Etat, avis particulièrement positif concernant la rédaction qui est proposée, il est important de le souligner, des travaux de nos collègues sénateurs, des discussions que nous avons eues en commission des lois mercredi dernier, je défends la position aujourd’hui que cette rédaction est précise et ne crée aucune ambivalence concernant l’objectif que nous poursuivons. L’emplacement retenu, à l’article 34 de la Constitution, fait sens au regard de notre histoire constitutionnelle et de son évolution. Il n’a aucunement pour conséquence de donner moins de portée à la liberté ainsi garantie. Cette rédaction est enfin de nature à garantir une protection qui respecte le choix individuel de chaque personne qui souhaite recourir à une IVG. Je pense par ailleurs que cette rédaction est de nature à nous permettre de trouver un accord avec nos collègues sénateurs car elle repart des travaux de qualité qu’ils ont menés sur le sujet au début de l’année 2023 et qui ont ouvert le chemin vers la présentation de ce projet de loi constitutionnelle. C’est la raison pour laquelle, comme lors de la commission des lois, je n’ai pas déposé le moindre amendement et que je vous inviterai à retenir la rédaction qui nous est proposée. Cette rédaction, a d’ailleurs été largement adoptée par les commissaires aux lois sans modification le 17 janvier dernier. Je note également que lors de nos débats en commission, la majorité des députés a exprimé son attachement à travailler à la construction d’un accord avec le Sénat sur ce projet de révision constitutionnelle. J’en veux pour preuve le débat que nous avons eu sur les amendements de rétablissement des écritures initiales des différentes propositions de loi qui nous ont permis d’avoir un débat juridique abouti avant qu’ils ne soient retirés au profit de la rédaction initiale du présent projet de loi constitutionnelle. Bien entendu, les débats que nous aurons lors de cette séance sur les amendements qui ont été déposés demeureront particulièrement importants. Comme lors de la commission, ils nous permettront de mettre en lumière l’objectif poursuivi et les choix juridiques qui ont conduit à cette rédaction. Et je salue le fait qu’à l’exception de deux ou trois amendements, l’ensemble des amendements déposé a un rapport avec le projet de révision de la Constitution qui nous est proposé.
Cette révision intervient dans un contexte qui inquiète celles et ceux qui défendent les droits des femmes.
Rappelons qu’en Europe et aux Etats-Unis, ce droit est menacé. L’arrêt de la Cour suprême américaine nous a rappelé que, même dans un pays aussi développé et attaché aux libertés que les Etats-Unis, un recul du droit à l’IVG est possible. Je ne transpose pas leur situation juridique à notre pays mais force est de constater que ce droit, comme disait Simone de Beauvoir « n’est jamais acquis » et qu’il peut « suffire d’une crise » pour que les droits des femmes soient remis en cause.
En Pologne, en Hongrie, les Gouvernements mettent en place de nouvelles barrières à l’accès à l’IVG comme l’obligation d’écouter le cœur du bébé ou l’interdiction d’avorter en cas de malformation du fœtus. Le droit européen ne nous apporte aucune garantie en la matière car la Cour européenne des droits de l’Homme et la Cour de justice de l’Union européenne laissent une grande marge d’appréciation aux États en la matière.
Les militants dits « anti-choix » sont très actifs en France et reçoivent d’importants financements. Les entraves prennent des formes de plus en plus pernicieuses : certaines plateformes vont jusqu’à proposer des numéros verts pour se faire passer pour des organismes publics et dissuader ensuite les femmes qui les appellent. Les attaques à l’encontre du droit à l’avortement nourrissent le débat public, à l’image de certains amendements que nous aurons à discuter aujourd’hui d’ailleurs. Ne croyons donc pas que la France est complètement imperméable à ce risque et c’est justement parce que ce droit est encore solidement ancré en France qu’il faut le protéger : je le redis à cette tribune, « on ne prend pas une assurance quand la maison brûle ».
Par cette révision, la France enverrait un message fort dans le monde entier en devenant le premier pays à reconnaître l’IVG dans le texte de sa constitution qui a servi de modèle à tant de pays à travers l’histoire.
En somme, ce texte, c’est rien et tout à la fois :
– Il n’est rien parce qu’il ne vient pas bouleverser le droit existant ;
– Il est tout parce qu’il créé un bouclier pour le futur en érigeant la liberté de recourir à l’IVG, c’est-à-dire la liberté de disposer de son corps, parmi les libertés fondamentales devant être garanties par un État de droit au XXIème siècle.
Je vous remercie.