La guerre scolaire n’aura pas lieu : responsabilisons les acteurs plutôt que de les stigmatiser
Pendant 35 ans, les gouvernements de droite comme de gauche se sont succédés et tous ont préféré éviter le sujet de l’enseignement privé sous contrat, par peur de raviver cette fameuse guerre scolaire entre le public et le privé déclenchée au début des années 1980 par le projet de nationalisation de l’enseignement privé du ministre Alain Savary. A l’époque, des millions de personnes étaient sorties dans la rue pour manifester leur soutien à « l’école libre ».
Depuis la publication du rapport sur le financement public des écoles privées sous contrat présenté en commission des affaires culturelles et de l’éducation à l’Assemblée nationale le mardi 2 avril, nombreux sont ceux qui nous reprochent de raviver cette guerre scolaire. Nous vous l’assurons, elle n’aura pas lieu parce que nous renforçons simplement le travail apaisé qu’a entrepris depuis 2022 le gouvernement avec l’enseignement privé.
Par ce rapport, nous ne remettons ni en cause l’existence de l’enseignement privé ni son financement.
D’une part, nous sommes résolument attachés à la liberté d’enseignement, garantie par la Constitution, qui permet à chaque parent de choisir le mode d’instruction pour leurs enfants. L’enseignement privé très apprécié par les familles apporte une contribution indiscutable à l’offre de formation par ses projets éducatifs et pédagogiques spécifiques. Il répond aussi à des besoins de familles pas toujours satisfaits par le public, en offrant un meilleur système de remplacement ou une gestion administrative plus souple. Laissons les parents faire ce choix, arrêtons, comme le font inutilement certains, de le stigmatiser.
D’autre part, le financement public des établissements sous contrat, à hauteur de 75% en France, n’a rien d’exceptionnel. La majorité des pays de l’OCDE financent les établissements privés sous contrat. En revanche un financement public élevé est généralement associé à davantage de contreparties imposées aux établissements.
Par son financement important l’Etat délègue aux établissements privés une mission de service public. Longtemps bridés par cette épée de Damoclès qu’est la guerre scolaire, nous demandons à ce que l’Etat et les collectivités territoriales pilotent et contrôlent davantage les établissements privés sous contrat, tout en leur imposant plus de contreparties au financement pour qu’ils soient pleinement associés au service public de l’éducation.
Premièrement, il est de la responsabilité de l’Etat et des collectivités territoriales de mieux évaluer et contrôler la dépense publique destinée aux établissements privés sous contrat. Sans contrôle, des dérives sont possibles. Plaider pour plus de contrôles n’équivaut pas à fustiger le privé, mais plutôt à le protéger. Les propositions du rapport renforcent le contrôle des établissements privés sous contrat en permettant aux collectivités territoriales de mieux flécher et contrôler leurs dépenses par des conventions d’objectifs et de moyens.
En cas de manquements nous souhaitons instaurer des sanctions plus graduelles (délai pour se conformer aux recommandations, mise en demeure, suspension des paiements) pour que la sanction ultime de la rupture du contrat, quasiment jamais utilisée, ne soit plus une menace inutile.
Deuxièmement, nous souhaitons par ce rapport, renforcer les actions déjà engagées par le gouvernement pour renforcer la mixité sociale et scolaire. Selon la Cour des comptes, le pourcentage de professions et catégories sociales très favorisées passe, pour les établissements d’enseignement privés sous contrat, de 26,4 % en 2000 à 40,2 % en 2021, quand celui des professions et catégories sociales défavorisées passe de 24,8 % en 2000 à 15,8 % en 2021. De plus, les écarts de niveau entre le public et le privé sont significatifs : selon les évaluations nationales de début de 6ème, les élèves dans le privé obtiennent un niveau supérieur de 15 points en français et en mathématiques par rapport à ceux dans public hors zone d’éducation prioritaire.
Pour améliorer la mixité sociale et scolaire, nous devons donc responsabiliser tous les acteurs, publics comme privés. Dans la continuité du protocole de Pap Ndiaye signé avec le SGEC, nous proposons de renforcer le droit des élèves en soumettant tout refus de réinscription d’un élève à autorisation du recteur et en imposant des critères de sélection plus transparents. Ce sont les parents qui doivent pouvoir choisir l’école et non l’école qui doit choisir les familles.
Nous souhaitons que la situation socio-économique des élèves inscrits dans un établissement soit prise en compte par l’Etat quand il attribue les moyens. Enfin il faut que les contrats entre l’Etat et les établissements soient revus pour y intégrer des objectifs clairs de mixité sociale et scolaire.
Les écarts de composition sociale entre les établissements privés et publics différent toutefois fortement en fonction du territoire. Les différences entre le privé et le public sont faibles en Bretagne où le privé est plutôt un choix de proximité, ou dans certains quartiers de Marseille où le privé remplit une véritable mission sociale. A l’inverse, les disparités sociales sont très marquées en région parisienne. Ainsi, pour tenir compte de ces réalités locales et éviter de les mésestimer, nous sommes convaincus que les collectivités territoriales doivent être au cœur de la réponse en leur permettant de moduler les financements en fonction de la mixité sociale et scolaire.
Nous sommes à un tournant pour réussir à collectivement renforcer le système prévu par la loi Debré, sans stigmatisation et sans faire table rase du cadre actuel.
L’heure de la guerre entre Don camillo et Peppone est définitivement révolue, il est grand temps que tous les acteurs : l’Etat, les collectivités, les écoles privées et leurs représentants collaborent ensemble afin d’améliorer et renforcer le système éducatif dans sa globalité.