Cette tribune a été publiée sur le site du Monde.
Nous avons déposé ce lundi 13 octobre à l’Assemblée nationale une proposition de loi transpartisane, préparée avec l’aide du constitutionnaliste Benjamin Morel, visant à établir en France un mode de scrutin proportionnel pour les élections législatives. Cette proposition de loi est également soutenue par de nombreux autres collègues députés des groupes Ensemble Pour la République, Démocrates, Socialistes, Ecologistes et Gauche Démocrate et Républicaine.
La crise que traverse le pays a de multiples dimensions mais sa dimension institutionnelle est centrale comme l’ont encore démontré, s’il en était besoin, les rebondissements des dernières semaines. Jusqu’ici la Cinquième République n’avait guère connu que des majorités claires à l’Assemblée nationale. Mais depuis 2022, ce « fait majoritaire » a disparu. Et les difficultés actuelles résultent pour une part non négligeable de la contradiction entre un mode de scrutin qui a été pensé pour dégager ces majorités claires et leur absence dans le paysage politique tel qu’il est.
Les résultats des élections de 2024 ne sont pas très différents en apparence de ce qu’aurait donné un scrutin proportionnel mais le fonctionnement de l’Assemblée reste surdéterminé par le scrutin majoritaire. Chaque député anticipe en effet que les prochaines élections se joueront avec les mêmes règles dans une logique bloc contre bloc. Ce qui empêche de rechercher efficacement les compromis indispensables. C’est cette contradiction qu’il faut lever en changeant de mode de scrutin.
Un mode de scrutin proportionnel permet tout d’abord d’assurer que chaque voix compte sur tout le territoire, redonnant ainsi du sens à la participation des citoyens aux élections. Il assure une représentation conforme au choix des électeurs au sein de l’Assemblée nationale garantissant ainsi la justice électorale. Le scrutin proportionnel permet également aux citoyens de voter enfin « pour » les options de leur choix et non plus simplement « contre » celles qu’ils redoutent le plus. Il permet ensuite que les contrats de gouvernement se construisent, au vu et au su de tous autour de mesures susceptibles de recueillir réellement l’assentiment de la majorité des citoyens alors qu’aujourd’hui le système électoral donne les moyens d’imposer leurs choix à des forces qui restent en réalité minoritaires dans le pays. Le scrutin proportionnel contribue enfin à rééquilibrer les pouvoirs au sein de la Cinquième République en renforçant structurellement le rôle du Parlement. Le Président de la République devra en effet toujours composer avec une Assemblée qui ne sera plus à sa main. Le scrutin proportionnel permet enfin de renforcer la parité au sein de l’Assemblée.
De nombreuses modalités sont envisageables pour instaurer un scrutin proportionnel. Les Français restent cependant attachés à un ancrage territorial fort de leurs parlementaires. C’est la raison pour laquelle nous proposons d’associer des représentants élus au scrutin majoritaire dans des circonscriptions comme c’est le cas aujourd’hui et des députés élus sur des listes complémentaires nationales afin qu’au final l’Assemblée représente fidèlement les choix des électeurs. Des modes de scrutin de ce type existent depuis de longues années chez plusieurs de nos voisins. Concrètement, si un parti a reçu 20% des suffrages au niveau national, il doit se voir allouer 20% des sièges : si ses députés élus au scrutin majoritaire dans les circonscriptions représentent déjà 15% des sièges, alors on puisera sur sa liste complémentaire autant de candidats que nécessaires pour atteindre 20% des députés. Ce mode de scrutin permet de combiner la continuité avec le système actuel et le passage à une véritable représentation proportionnelle.
Il est grand temps pour la France de rejoindre l’ensemble de nos voisins européens qui ont tous recours à un scrutin de ce type pour constituer leurs assemblées législatives. On dit souvent que la proportionnelle mène à davantage d’instabilité gouvernementale que le scrutin majoritaire mais avec des modes de scrutin analogues à celui que nous proposons l’Allemagne a connu depuis 1958 24 gouvernements et 10 chefs de gouvernements et le Danemark 31 gouvernements et 12 chefs de gouvernement contre 47 gouvernements et 29 premiers ministres en France. Et la situation à laquelle nous sommes confrontés depuis trois ans suffit à prouver que le mode de scrutin actuel n’est plus en mesure d’engendrer la stabilité qu’il est censé garantir.
Nous sommes convaincus qu’il est possible de rassembler un consensus large autour d’une telle réforme. Elle ne permettra évidemment pas de résoudre à elle seule la crise actuelle, mais elle contribuera de manière substantielle à débloquer le pays.