Un sondage nous apprend que, sept ans après sa mise en œuvre, on comptait deux fois plus de personnes favorables à la hausse de la fiscalité sur l’énergie que de défavorables. Ce sondage n’a pas été réalisé en France mais en Colombie-Britannique, une province du Canada qui a instauré une taxe carbone (donnant un prix aux émissions de CO2) depuis 2008 («Canadian Public Opinion on Climate Change», The Environics Institute and David Suzuki Foundation, 2015). Comment s’explique ce soutien massif à une politique publique qui, dans notre pays, a cristallisé des tensions accumulées depuis des décennies et nourri le sentiment d’injustice fiscale et d’abandon de la France rurale ?
Si les habitants de cette province canadienne soutiennent cette hausse de la fiscalité, c’est que leurs gouvernants ont su la rendre juste. Ils ont posé un principe fort: 100 % des revenus générés par cette hausse sont rendus aux citoyens et aux entreprises, sous forme d’aides à la transition énergétique ou de baisses de taxes.
D’autres pays ont trouvé d’autres modalités pour augmenter leur fiscalité sur l’énergie et pour rendre cette hausse juste. Et nous avons la conviction que nous saurons faire de même, en France, si nous y travaillons tous ensemble, avec l’ensemble des parties prenantes. Pour nous, la fiscalité carbone n’est pas un dogme, pas plus qu’un marqueur politique. C’est, parmi d’autres, un outil efficace pour faire évoluer les décisions d’investissement, favoriser les comportements vertueux, donner un avantage aux véhicules ou aux chaudières qui consomment peu ou pas d’énergies fossiles, et répondre à l’urgence climatique. Un outil efficace qui a été accompagné, en France, d’aides pour inciter nos concitoyens à investir dans des équipements plus écologiques, et en particulier les ménages modestes. Le dernier dispositif en date permet à ces derniers d’acquérir une chaudière performante pour 1 euro seulement.
Mais cela n’est pas suffisant. Trop de ménages qui ont déjà tant de mal à boucler les fins de mois se sont retrouvés piégés par la hausse des prix de l’énergie, notamment due à la flambée de prix mondiaux du pétrole. Et beaucoup de nos concitoyens sont convaincus que la fiscalité carbone n’est qu’un prétexte pour faire payer toujours plus les Français, pour augmenter sans cesse des dépenses publiques dont ils ne perçoivent plus les bénéfices.
Nous entendons ces critiques, qui toutes sont légitimes. Elles nous poussent non pas à vouloir abandonner la fiscalité carbone mais à travailler ensemble à un nouveau contrat entre l’État, les citoyens, les collectivités locales, les associations environnementales et de consommateurs et les syndicats autour de cette fiscalité. Dans et autour du grand débat national, de nombreuses propositions sont sur la table pour en faire une mesure de progrès environnemental et social: renforcement et simplification des aides, nouvelles mesures de redistribution, fléchage de l’utilisation des recettes, nouveaux secteurs professionnels couverts par la fiscalité carbone… Écoutons ces idées venues du terrain et qui posent les bases d’une fiscalité écologique enfin juste socialement.
Apprenons aussi des expériences étrangères. Inspirons-nous de la Colombie-Britannique et de son principe de neutralité budgétaire. Ou de la Suisse, qui a profité des recettes de sa taxe carbone pour baisser les primes obligatoires d’assurance-santé de tous les citoyens. Inspirons-nous de la Californie, dont la législation impose qu’un tiers de ses «revenus carbone» soit consacré aux populations les plus défavorisées, ou encore du Chili qui a profité de ces nouvelles recettes fiscales pour investir dans l’éducation et la santé. Nous pouvons même aller voir du côté de l’Indonésie, qui, ayant supprimé ses subventions aux énergies fossiles, a utilisé les revenus de cette réforme pour développer ses infrastructures et mieux aider les collectivités locales.
La mise en place d’une fiscalité carbone n’est pas un long fleuve tranquille. Les pays qui s’y sont essayés ont connu de profondes difficultés: si deux tiers des habitants de Colombie-Britannique l’approuvent aujourd’hui, la majorité d’entre eux la rejetait quelques mois après son adoption. La France n’est pas une exception. Mais, plutôt que d’abandonner cet outil, nous voulons continuer le débat entamé avec les citoyens dans le cadre du grand débat national, pour construire tous ensemble une fiscalité qui soit à la fois écologique, juste et lisible.
Les signataires de la tribune :
Bérangère Abba, Damien Adam, Christophe Arend, Sophie Auconie, Delphine Bagarry, Erwan Balanant, Anne Blanc, Christophe Bouillon, Pierre-Yves Bournazel, Blandine Brocard, Stéphane Buchou, Jean-François Cesarini, Annie Chapelier, Sylvie Charrière, Guillaume Chiche, Mireille Clapot, Fabienne Colboc, Paul-André Colombani, Dominique Da Silva, Jennifer De Temmerman, Michèle de Vaucouleurs, Frédérique Dumas, Stella Dupont, M’jid El Guerrab, Catherine Fabre, Agnès Firmin Le Bodo, Olivier Gaillard, Patricia Gallerneau, Guillaume Garot, Eric Girardin, Joël Giraud, Guillaume Gouffier-Cha, Yannick Haury, Daniele Herin, Caroline Janvier, Hubert Julien-Laferrière, Anissa Khedher, Jean-Christophe Lagarde, Jean-Luc Lagleize, Frédérique Lardet, Jean-Charles Larsonneur, Gaël Le Bohec, Sandrine Le Feur, Marion Lenne, Jacques Maire, Jacques Marilossian, Jean-François Mbaye, Marjolaine Meynier-Millefert, Bruno Millienne, Sandrine Mörch, Cécile Muschotti, Matthieu Orphelin, Sophie Panonacle, Valérie Petit, Bénédicte Peyrol, Claire Pitollat, Barbara Pompili, Dominique Potier, Florence Provendier, Cathy Racon-Bouzon, Hugues Renson, Cécile Rilhac, Véronique Riotton, Marie-Pierre Rixain, Laetitia Romeiro Dias, Xavier Roseren, Laurianne Rossi, Cédric Roussel, Maina Sage, Nathalie Sarles, Jean-Bernard Sempastous, Benoit Simian, Denis Sommer, Stéphane Testé, Huguette Tiegna, Jean-Louis Touraine, Elisabeth Toutut-Picard, Nicole Trisse, Frédérique Tuffnell, Laurence Vanceunebrock-Mialon, Patrick Vignal, Cédric Villani, Sylvain Waserman, Martine Wonner, Jean-Marc Zulesi