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Le projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales nous donne l’occasion de traiter d’un sujet particulièrement important, celui de la diplomatie féministe de la France, un thème sur lequel la Délégation aux droits des femmes s’est engagée de longue date, appelant nos autorités à s’en revendiquer pleinement. Il s’agit de faire de la défense et de la promotion des droits des femmes un axe majeur de notre politique extérieure. La notion même de « diplomatie féministe » recouvre il est vrai un champ bien spécifique, reposant essentiellement sur l’orientation des ressources relevant de l’aide au développement.
Ce sujet est très loin d’être anecdotique, tant en termes de droits humains, que de développement durable. D’après les chiffres du rapport d’activité 2019-2020 de l’Agence Française de développement, 70 % des personnes vivant avec un dollar par jour sont des femmes. Dans certains pays, une femme sur deux est victime de violences. Or, promouvoir le droit des femmes permet au contraire de combattre le sous-développement. Selon l’Organisation internationale du travail, l’égalité entre les sexes permettrait de générer une hausse de plus d’un quart du PIB mondial en 2025.
L’aide publique au développement (APD) constitue l’instrument privilégié de mise en œuvre de la diplomatie féministe. Ce projet de loi réaffirme cette ambition française. Il prévoit une progression substantielle des ressources de l’APD, ainsi que certaines modifications dans les instances de gouvernance et de contrôle de cette dernière.
A ce jour, seuls la Suède, le Canada, la France et plus récemment le Mexique ont officiellement caractérisé leur politique étrangère de féministe. Nous espérons qu’il s’agit là des prémices d’un mouvement plus large. Lors du G 7 de 2019, notre pays a initié le Partenariat de Biarritz pour l’égalité entre les femmes et les hommes, cosigné par 11 chefs d’Etats et le représentant de l’Union européenne. Cette année, notre pays présidera au printemps, conjointement avec le Mexique, le Forum Génération Egalité, organisé par ONU Femmes.
Si l’engagement international de la France en faveur de l’égalité entre les sexes est ancien, nous assistons à une nette intensification de son action depuis 2017. Ce projet de loi nomme enfin les choses, en revendiquant explicitement une « diplomatie féministe », dont les moyens seront sanctuarisés voire renforcés. L’aide publique au développement est en effet l’un des vecteurs les plus efficaces, et certainement le plus direct, pour agir sur la vie des femmes dans le monde. La France, à travers une mission budgétaire de plus de 3,2 milliards d’euros en 2020, dispose déjà d’une force de frappe conséquente.
Le projet de loi se propose de l’accroître encore, pour parvenir à 4,8 milliards d’euros de crédits de paiement en 2022. Il s’agit d’un progrès considérable qui bénéficiera directement ou indirectement aux programmes agissant en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes. L’égalité femmes-hommes est érigée en objectif général et transversal, ce qui signifie qu’il devra non seulement faire l’objet d’actions et de programmes ciblés, mais également irriguer l’ensemble de la politique d’APD française. Il faut en effet avoir conscience que tous les domaines d’intervention peuvent contribuer à cet objectif : la lutte contre les conséquences du changement climatiques bénéficie d’abord aux femmes, il en va de même, par exemple, du développement d’infrastructures de santé. L’augmentation des ressources globales d’APD s’accompagne d’une sanctuarisation de la part allouée à des projets soutenant les droits des femmes et l’égalité des sexes.
Dans le rapport est décrit la méthode permettant de déterminer le caractère « féministe » d’un projet ou programme d’aide au développement : la France utilise les critères de notation du Comité d’aide au développement de l’OCDE. Ces critères agrégés forment une note entre 0 et 2 :
– un projet noté CAD 0 ne revendique aucun objectif visant un impact sur l’égalité femme-homme ;
– la note CAD 1 présente un objectif significatif ;
– et la note CAD 2 traduit un objectif principal.
L’agence française de développement est le principal opérateur de l’aide publique au développement française. J’ai pu auditionner son directeur général délégué, Monsieur M. Bertrand Walckenaer. Il m’a confirmé que, d’ici 2022, la totalité des projets et programmes de l’AFD seront marqués genre, et que 50 % de ses volumes annuels d’engagement devront être notés CAD 1 ou 2. Cet engagement a été pris au moment de la validation de la Stratégie internationale de la France pour l’égalité entre les femmes et les hommes pour la période 2018-2022. Cet objectif est retranscrit dans le rapport annexé au projet de loi et il ne concerne que l’AFD, et non l’ensemble de l’aide publique au développement. La DDF est partisane d’une approche plus ambitieuse, qui ne se contente pas de sanctuariser l’existant.
Nous proposons dans le rapport
– d’accroître l’objectif de 50 % à 85 % d’actions orientées principalement ou significativement vers l’égalité des sexes ;
– et d’assortir cet objectif d’un socle minimal de 20 % de projets ou programmes ayant l’égalité femmes-hommes comme objectif principal.
Il reviendra naturellement aux parlementairesde suivre et de contrôler la mise en œuvre de ces objectifs. Pour ce faire, conformément à votre analyse Monsieur le Président et à celle de notre collègue Isabelle Rauch à l’occasion du dernier PLF, j’insiste sur l’amélioration des instruments de mesure et indicateurs proposés par le projet de loi. Ils me semblent en l’état trop imprécis et je vous proposerai des amendements à cette fin.
Enfin, la concrétisation d’une diplomatie féministe nécessite des objectifs plus ambitieux en termes de gouvernance. Le projet de loi évoque dans ses articles quatre instances de gouvernance ou de contrôle. Nous proposons d’y inscrire le caractère paritaire de chacune d’entre elles.
La première de ces instances, est le conseil national du développement et de la solidarité internationale (CNDSI). Il s’agit d’une instance de concertation créée en 2014 entre l’Etat et les acteurs du développement. L’article 5 du projet de loi précise sa composition et ses missions. Nous proposons de compléter l’article pour prévoir le caractère paritaire du CNDSI.
La seconde est l’agence française de développement. Cette agence est le premier opérateur du ministère de de l’Europe et des affaires étrangères. L’inscription dans la loi de ce caractère paritaire me semble à la fois un symbole important et, là aussi, un véritable garde-fou.
La troisième instance de gouvernance, c’est Expertise France, actuellement nommée Agence française d’expertise technique internationale, et dont le projet de loi prévoit un changement de statut. Là encore, il s’agit d’inscrire le caractère paritaire de son conseil d’administration.
Enfin, le projet de loi prévoit dans son article 9 la création d’une commission d’évaluation de la politique de développement solidaire et de lutte contre les inégalités mondiales. Il prévoit la nomination de ses membres par décret.
Les amendements que nous déposons prévoient l’inscription d’une représentation équilibrée de chaque sexe dans les instances de gouvernances de ces organes ou agences. Cette démarche serait en cohérence avec les travaux de notre Délégation en matière de gouvernance économique et de fonction publique.