Cette année, la 69ème réunion de la commission de la condition de la femme de l’ONU, ce qu’on appelle la CSW, devait marquer un anniversaire. Celui des trente ans de la déclaration de Pékin qui marquait la tenue de la quatrième conférence mondiale sur les femmes en 1995. Ce devait être l’occasion de renouveler au niveau international les engagements envers les droits des femmes et d’aller plus loin. Nous aurions dû avancer sur la reconnaissance des droits sexuels et reproductifs, sur l’accès à l’éducation, sur la lutte contre les violences basées sur le genre, sur la protection des populations des impacts du réchauffement climatique, par exemple. Il n’en a rien été. Face au déferlement des attaques envers les droits des femmes que nous observons depuis plusieurs années et qui sont maintenant renforcées par les positions idéologiques de la nouvelle administration américaine, nous n’avons pu que sauvegarder le cadre existant. En soi, cela est déjà une victoire, mais nous ne pouvons pas nous en satisfaire.
Nous devons prendre conscience de ce qu’il se passe. Lors des travaux de cette 69ème CSW, nos discussions et nos travaux nous ont surtout conduits à décortiquer la philosophie de la politique mise en place par Donald Trump depuis sa dernière élection. J’aimerais vous dire qu’il s’agit là de sa dernière élection. Mais, de cela même, nous ne pouvons aujourd’hui être sûrs au regard du climat politique qui règne aux Etats-Unis et des propositions provocatrices que portent nombre de responsables Républicains, notamment celle de rendre possible un troisième mandat. Tout comme leur président, ils le font sur le ton de l’humour, un humour qui ne trompe personne sur leurs intentions réelles. En l’espèce, l’assaut du capitole le 6 janvier 2021 ne doit à aucun moment être oublié. Ces responsables politiques sont capables de tout, surtout du pire.
Les attaques envers les droits des femmes, des minorités, des personnes LGBTQI sont multiples et au cœur de l’idéologie des ultra-conservateurs américains. Des personnes sont renvoyées de leurs emplois parce que femmes ou noires. Des personnes sont persécutées et insultées au quotidien en raison de leur orientation sexuelle ou de leur croyance. Des scientifiques se voient refuser l’accès au territoire américain en raison de leurs opinions ou expressions. Leur volonté d’enfermer les femmes dans un cadre social uniquement familial, leur haine absolue et sans limite des personnes transgenres et des étrangers, sont des faits qui doivent grandement nous préoccuper et nous inquiéter. Les mots employés n’appartiennent pas au vocabulaire des démocraties. Ils peuvent être le prélude d’actions réactionnaires sans précédents. Déjà, ils libèrent les discours haineux et violents. Leurs attaques envers la séparation des pouvoirs, le débat politique contradictoire, envers les scientifiques et les médias indépendants, les agents des services publics rappellent les heures les plus terribles de certains États démocratiques avant qu’ils ne basculent dans des régimes autocratiques ou dictatoriaux. Et face à cela, force est de constater que les Démocrates, et une partie importante de la société civile sidérée par les évènements, demeurent en grande difficulté pour s’organiser et agir.
Pour nombre de commentateurs, cette nouvelle administration Trump serait animée par la folie. Pour ma part, je ne le pense pas. Contrairement à leur premier mandat, Donald Trump et ses soutiens se sont préparés durant les quatre dernières années. Ils ont un programme, en grande partie travaillé par un institut d’extrême-droite, la Heritage Foundation (dont certains responsables travaillent aujourd’hui à la Maison Blanche). Ils ont les leaders pour le mettre en place. Ils ont les moyens financiers et le soutien d’une partie du monde économique. Ils ont le temps. Ils ont les relais internationaux, y compris en France via le Rassemblement national et Reconquête. Le fond de leur idéologie est ultra-conservateur, réactionnaire, grandement sous influence des églises évangéliques. Leur méthode s’appuie régulièrement sur la propagation de mensonges ou de désinformations à des fins de contrôle des masses.
Cette méthode se découpe en trois phases, parfaitement décrite par Neil Datta, directeur exécutif du European Parliamentary Forum (EPF). La première phase vise à attaquer les fondements de la démocratie et du multilatéralisme international, les droits humains, les droits sexuels et reproductifs, l’accès à la santé et à la science. La deuxième phase basée sur la liberté religieuse et le « réarmement démographique national », thème cher à Elon Musk notamment, vise à consolider la mise en place d’un agenda réduisant les droits des individus. La troisième phase vise à l’instauration d’un nouvel ordre mondial, notamment à travers la promotion du consensus de Genève, une alliance d’États promouvant la restriction des droits des femmes et l’interdiction du droit à l’avortement. Cette alliance est de nouveau portée par les Etats-Unis depuis le retour de Donald Trump. Elle constitue un des piliers de la diplomatie transactionnelle qu’il souhaite déployer.
Cette réalité que cherche à mettre en place Donald Trump, nous devons la dénoncer, l’expliquer et la combattre. Nous ne devons pas nous taire. Nous ne devons pas laisser passer cela car cette idéologie est en train de submerger toutes nos sociétés, aidée par cette époque qui voit le buzz et la radicalité concurrencer frontalement la raison et la modération. Des valeurs qui sont pourtant indispensables à notre vie démocratique et pacifique. Il est maintenant important que les démocrates du monde entier se réveillent, défendent les valeurs humanistes et progressistes plutôt que de passer leur temps à se faire enfermer dans les débats nauséabonds de l’extrême-droite.
Guillaume Gouffier Valente
Député
Vice-Président de la délégation aux droits des femmes
Président du European Parliamentary Forum