
Madame la présidente,
Madame la ministre,
Madame la corapporteure,
Chers collègues,
Anna Morice, 24 ans, femme de chambre, condamnée à 6 mois de prison avec sursis pour avoir eu recours à l’avortement. Victoria Nicolas, 38 ans, couturière, condamnée à 40 mois de prison, 60 000 francs d’amendes pour avoir eu recours à l’avortement. Pauline Lebel, 49 ans, ouvrière agricole, condamnée à 7 ans de prison et 20 000 francs d’amende pour avoir eu recours à l’avortement. Madelaine Dubosq, 27 ans, femme de ménage, condamnée à 6 mois de prison avec sursis et 5000 francs d’amende pour avoir eu recours à l’avortement et tentative d’avortement. Et tant d’autres femmes condamnées comme Marie-Louise Giraud, guillotinée en 1943 pour avoir aidé des femmes à recourir à l’avortement.
De 1870 à 1975, près de 12 000 femmes furent condamnées en France en raison des lois pénalisant l’avortement. Et tant d’autres qui, dans le silence le plus absolu perdirent la vie des suites d’un avortement clandestin. Une autre époque, pas si lointaine, où ce mot était comme interdit. Un sujet qui demeure aujourd’hui encore bien souvent tabou dans le débat public ou au sein des familles. C’était « la rumeur du quartier, la conversation à voix basse » écrivait Annie Ernaux. C’est dans cette époque que cette proposition de loi nous replonge avec gravité.
Ce texte nous le devons à un collectif d’associations, de sociologues, de philosophes, d’historiennes, d’élues qui, au début de cette année 2025 qui marque le 50ème anniversaire de la loi Veil ont, à travers une tribune, soulevé le sujet de la reconnaissance du préjudice subi par les femmes ayant eu recours à l’avortement avant 1975, dans la clandestinité, au prix de leur liberté, de leur santé, de leur vie. Cette tribune est devenue une proposition de loi sous la plume de notre collègue Laurence Rossignol que je tiens à saluer et qui nous indiquait lors de nos travaux qu’avec cette proposition de loi, ce qui a longtemps été vécu comme un drame personnel et silencieux est enfin réellement reconnu comme un drame social et national, assumé collectivement.
Au cours de ces derniers jours, avec ma collègue Marietta Karamanli nous avons travaillé sur ce texte en essayant d’identifier toutes ces dimensions. Il s’agit d’un texte important qui permet de sortir du silence les voix de millions de femmes, pour qu’on ne les oublie pas, pour qu’elles nous rappellent notre passé afin que nous comprenions mieux les combats que nous portons. Un texte rempli d’émotions qui permet que cette histoire s’écrive enfin.
À titre personnel, à travers les nombreux échanges, les auditions, les lectures, j’ai redécouvert cette histoire faite de violences insoutenables qui est si peu racontée, comme si le tabou demeurait. J’ai appris davantage sur la vie des femmes avant la loi de 1975 et sur ces pionières du MLAC, du MLF, du Planning qui se sont battues pour la décriminalisation du droit à l’avortement. Un combat indissociable d’autres « sur le viol, l’inceste, l’inégalité des salaires, les femmes battues » comme l’écrit Claudine Monteil, présente en tribune et que je salue. Des combats essentiels qui ont été menés par des femmes connues ou non, des femmes de tout âge et de toute catégorie sociale. Des combats portés par des femmes courageuses. C’est le qualificatif que Le Nouvel Observateur retenait le 5 avril 1971 en publiant le manifeste des 343. C’est le qualificatif qu’il faut retenir pour évoquer les femmes qui se sont battues hier pour la reconnaissance de ces droits. C’est ce qualificatif qu’il faut continuer d’utiliser publiquement ou en privé pour parler de celles qui continuent de porter ces combats.
Cette proposition de loi c’est la transmission d’une mémoire, c’est aussi le début de la reconnaissance d’un préjudice que l’on doit à ces femmes et ces hommes qui ont connu ces avortements clandestins nous disaient hier Bibia Pavard et Mariana Otero de l’association aux avortées oubliées. Avec ma collègue Marietta Karamanli, nous sommes convaincus qu’un jour il nous faudra aller plus loin en garantissant une réelle réparation de ce préjudice, comme cela était prévu par le texte initial et que le Sénat a supprimé. En cela, ce texte est un acte mémoriel important tout en étant le point de départ de futurs travaux pour encore renforcer l’accès au droit à l’IVG.
Discuter cette proposition de loi c’est aussi regarder avec lucidité le présent. Ce qui relève du passé pour nous est encore une réalité pour des millions de femmes à travers le monde qui sont persécutées, humiliées, poursuivies, condamnées, emprisonnées, maltraitées, violentées du fait d’avoir eu recours à l’avortement ou tout simplement pour avoir eu le courage d’en défendre la légalisation ou l’accès.
En 2025, encore trop de lois interdisant l’avortement ou restreignant son accès tuent des femmes. Partout à travers le monde des représentants politiques, des mouvements anti-choix et des mouvements masculinistes s’attaquent quotidiennement aux droits des femmes, à commencer par le droit à l’avortement. Encore cette semaine, au Parlement européen, des eurodéputés conservateurs et d’extrême-droite ont tenté d’empêcher l’adoption de la résolution sur le droit à l’avortement issue de l’initiative My Voice, my choice alors que dans le même temps l’entreprise Meta supprimait une cinquantaine de comptes délivrant des informations sur l’accès à l’avortement. Cette semaine encore, un homme radicalement opposé au droit à l’avortement a été élu président au Chili agrandissant la famille politique de l’internationale réactionnaire.
Ce combat n’appartient pas au passé. Ce combat c’est choisir la cause des femmes, c’est choisir la liberté, l’égalité, la démocratie. Et aussi puissants et visibles soient les mouvements réactionnaires et misogynes, jamais nous n’abandonnerons. Cette proposition de loi est une brique essentielle dans cette lutte. Avec convictions, avec l’envie de toujours transmettre l’histoire des femmes de notre pays et des luttes pour leurs droits, avec la détermination de les poursuivre dès demain, nous formulons le souhait que ce texte soit définitivement adopté aujourd’hui.
Je vous remercie.