C’était il y a 100 ans, le 11 novembre 1918. Après quatre années de guerre, d’atrocités, les coups de feu s’arrêtèrent. Le silence se fit. A quoi pensèrent les militaires qui étaient recroquevillés dans leurs tranchées à ce moment-là ? Après tant de vies fauchées, tant de destins brisés, de familles frappées par la mort et les blessures, la tristesse et la désillusion, quelles furent leurs pensées ? Ils pensèrent certainement à la vie, à leurs familles. A Leurs enfants et leurs parents. A leurs frères d’armes tombés au champ de bataille. A la paix et à la nécessité de tout reconstruire. Mais d’abord, ils sortirent de leurs trous, de la boue et la puanteur. Et, après quatre années, pour la première fois, ils virent l’autre sans lui tirer dessus.
« On se voit pour la première fois depuis quatre ans sans se tirer les uns sur les autres. Le silence persiste. Cinq minutes, dix minutes, une demi-heure. Les compagnies, poignées d’hommes, se rassemblent et se dirigent vers les cantonnements qui leur ont été assignés. Des sentinelles restent en arrière. C’est vrai – ce n’est pas un rêve – ce n’est pas un cauchemar – tout est passé. La guerre est finie. On ne tire plus. Il n’y a plus de balle, ni d’éclat d’obus. Les listes de pertes sont closes. On reverra ses foyers. Au plus profond des coeurs jaillit une émotion sourde, une hésitation violente entre l’allégresse et la douleur atroce. Ô terre natale ! Ô patrie. » écrit Le soldat Werner Beumelburg qui rend compte de la fin des combats du côté allemand. « Je pense surtout que maintenant on va causer de paix et de retour, que l’heure approche vraiment où l’on retrouvera les siens -et qu’enfin l’on ne tue plus – fini les as et les héros, les lauriers et les Palmes ont été nombreuses et la gloire revient vraiment à “notre France !” Vive la France, Vivent nos chers Poilus ! Quelle joie ce doit être en première ligne et combien je regrette mon 207e où ce doit être fête. La Guerre est finie, vive la Paix pour l’éternité et vive mon chez moi !” écrit le capitaine Français Stern. Deux témoignages, parmi tant d’autres, qui décrive brièvement ce qu’ont pu ressentir ces hommes à ce moment-là.
Aujourd’hui, ce 11 novembre 2018, nous nous souvenons. Nous nous souvenons de ces hommes et de ces femmes qui, au commencement d’un nouveau siècle, virent le vieux continent sombrer dans la folie de la guerre. Une guerre atroce qui fit neuf millions de morts et laissa huit millions d’invalides. La première grande guerre industrielle où l’homme rentra dans une course effrénée à un armement toujours plus destructeur et meurtrier. La Marne, la Somme, le fort de Douaumont, Verdun, le point d’orgue des atrocités, etc. Autant de noms de batailles qui résonnent à travers le temps. Des noms qui, aujourd’hui encore, font frémir tant l’horreur de la guerre y fut sublimée, tant ils sont inscrits dans notre histoire collective.
Cette guerre décima une génération, tout un pays, tout un continent. Aucune famille ne fut épargnée. Jamais une guerre n’avait été aussi cruelle. Les géants européens, emportés par le nationalisme, y perdront leur rayonnement et leurs valeurs. Et loin d’être la der des ders, elle ne fut que le commencement d’un demi-siècle de conflits qui verra l’Europe toute entière entraîner le monde dans les abîmes du genre humain.
Nous ne devons rien oublier de cette période terrible. Nous ne devons à aucun moment sous-estimer le poids de notre histoire et de nos responsabilités envers ceux qui sont tombés sans avoir vraiment su pourquoi ils étaient partis de chez eux. Ils venaient du monde entier, de tous les continents, de tous les pays, de toutes les conditions humaines. Ils n’étaient pas des soldats mais des hommes et des femmes. Ils n’étaient pas des aventuriers, des guerriers, faits pour la boucherie humaine. Ils étaient « des laboureurs et des ouvriers », des « civils déracinés » écrivait Henri Barbusse.
Nous ne devons rien oublier afin que cela ne se reproduise pas. Cela exige que nous nous questionnions sur le sens que nous voulons aujourd’hui donner à cette mémoire. Que commémorons-nous ? La fin d’une guerre, certainement. Une victoire ? Non. Avec le recul, cela n’a plus de sens aujourd’hui et n’ouvre aucun avenir. La construction de la Paix et de l’Europe. Oui ! C’est cela que nous commémorons et célébrons en ce 11 novembre 2018. A la haine et à la mort ont succédé la paix et l’amitié. Au bombardement et la volonté de tuer l’autre a succédé une poignée de main à l’entrée de l’ossuaire de Douaumont, entre deux grands dirigeants, François Mitterrand et Helmut Kohl, entre deux peuples à l’histoire entremêlée. Le symbole d’une amitié, celle de la France et de l’Allemagne. Une amitié entre nos deux peuples qui ont su surmonter les rancunes et les colères pour construire la paix pour les générations futures. Le symbole d’une Europe humaniste qui a su se reconstruire et se rassembler autour de ses valeurs pour protéger la liberté et les humains, pour permettre le progrès et développer les solidarités.
Cent ans après, nous devons toujours faire attention à ce qu’ici, en Europe, ne ressurgissent point les funestes idées qui ont meurtri notre continent. Le repli identitaire et nationaliste ne mène qu’à la peur, la haine et le conflit. Il s’agit d’un chemin que nous devons refuser et combattre au nom de nos valeurs. Le monde a besoin d’une Europe démocratique, tolérante, ouverte sur le monde, dynamique, entreprenante et solidaire, une Europe qui garantisse l’égalité entre les femmes et les hommes. Il s’agit là d’un engagement permanent qu’il nous appartient à toutes et à tous de faire vivre et de transmettre. N’oublions jamais cela.