À l’occasion de ce colloque, intervenaient :
Dans un premier temps, Neil Datta a exposé les 54 organisations européennes qu’il a pu recenser et qui constituent les mouvements anti-choix. Elles se regroupent sous des formes variées et nouvelles telles que des Organisations non gouvernementales (ONG), des fondations ou des organisations religieuses d’apparence laïques. Sous couvert de militer pour un « droit à la vie », ces organisations luttent en réalité et principalement contre les droits relatifs à la santé sexuelle et reproductive des femmes, notamment le droit à l’avortement et à la contraception et la défense de l’union traditionnelle hétérosexuelle. Elles tentent alors d’imposer une norme morale selon laquelle les droits fondamentaux commenceraient « dès leur origine » et qu’avorter serait un acte immoral. Pour cela, les mouvements organisent des campagnes de désinformation et tentent d’influencer les pouvoirs publics, comme ce fut le cas lors de la commercialisation en France de l’une des pilules abortives, RU 486, mieux connue sous le nom de mifépristone. Elles utilisent des stratégies de laïcisation et de vulgarisation du langage afin de normaliser leurs structures dans l’opinion publique grâce à vocabulaire spécifique, parfois culpabilisateur ainsi que des statistiques erronées.
Depuis les années 90 des fondations et associations telles que Jérôme Lejeune, Alliance Vita, Le Syndicat de la famille (ex-Manif pour tous), Citizen Go, One of Us ou encore European Centre for Law and Justice sont les principales organisations représentant les mouvements anti-choix.
Les financements des mouvements anti-choix sont issus de trois régions géographiques – États-Unis, Russie, Europe – et s’élèvent à 707,2 millions de dollars entre 2009-2018. Multipliées par quatre depuis dix ans, ces organisations sont principalement financées par des collectes de fonds citoyennes, le soutien des élites socio-économiques, le financement public et les acteurs religieux. En Hongrie par exemple, le Gouvernement a utilisé 416 000 euros issus d’un programme européen pour l’emploi et la solidarité sociale afin de financer une campagne publicitaire anti-avortement. La présence de ces mouvements est d’autant plus menaçante puisqu’ils se professionnalisent. Ils ont une meilleure compréhension des enjeux juridiques et politiques et s’immiscent dans les instances européennes. Grâce à un renouveau générationnel puissant et à un réseautage transnational, ils savent utiliser les outils publics tels que les pétitions et les référendums afin de peser sur les décisions publiques nationales et internationales.
Pour contrôler ces mouvements et surtout leur impact, Neil Datta invite à les rendre visibles en les nommant et en exposant leur philosophie publiquement afin de sensibiliser les décideurs politiques et les médias.
Lucie Daniel et Amandine Clavaud sont intervenues dans un second temps afin de présenter leur rapport sur le backlash, publié en janvier 2023. Traduit comme « retour de bâton » ou « revanche », et créé par Susan Faludi dans son ouvrage « Backlash, la guerre froide contre les femmes » publié en 1991 , il désigne les reculs portés à l’encontre des droits des femmes à chaque avancée pour l’égalité. Autrement dit, ce concept toujours très actuel, désigne la violente réaction des mouvements conservateurs et virilistes à chaque grande avancée sociétale sur les droits des femmes ainsi que les outils déployés par les conservateurs pour menacer, attaquer et décrédibiliser ces droits. L’exemple du revirement de la jurisprudence Roe vs Wade aux Etats-Unis en juin 2022 en est l’illustration parfaite, tout comme en Afghanistan, en Iran ou encore en Pologne.
Les mouvements anti-choix, anti-genre, anti-droits et anti-démocratiques issus de mouvements religieux fondamentalistes, d’extrême droite et d’organisations d’État font converger leurs actions afin de contrôler les corps et la sexualité des femmes et de freiner le développement de leurs droits dans la continuité de la doctrine patriarcale. Selon les autrices, il est donc nécessaire de soutenir les associations féministes à l’aide de subventions publiques régulières, d’accélérer leur mise en réseau à l’échelle transnationale et de fixer des objectifs institutionnels ambitieux en matière d’égalité afin de faire de la lutte pour les droits des femmes un sujet de diplomatie féministe prioritaire en Europe.
La stratégie française à l’international en matière de droits et santé sexuels et reproductifs (DSSR) de 2023 à 2027 intègre un financement à hauteur de 400 millions d’euros basée sur une approche par les droits, plaçant les individus et leurs droits au centre de la stratégie, et faisant des DSSR la pierre angulaire de notre diplomatie féministe.
Pour finir, Sarah Durocher intervenait afin de détailler le rôle du Planning Familial crée en 1956 sous le nom de « La maternité heureuse », dans la lutte quotidienne qu’elles mènent pour la promotion et la protection des droits sexuels. Le Planning familial est une organisation militante française qui défend le droit à la contraception, à l’avortement et l’éducation à la vie affective et sexuelle. Il accueille dans ses nombreuses permanences réparties sur l’ensemble du territoire, toute personne sans distinction de sexe afin de promouvoir la santé sexuelle et l’égalité entre les femmes et les hommes.
Or, depuis quelques mois, le Planning subi de nombreuses attaques des mouvements anti-choix. En août 2022, à la suite d’une campagne médiatique sur laquelle était visible une personne enceinte de sexe masculin accompagné d’un message de tolérance, l’association a subi une vague de propos haineux sur les réseaux sociaux. A Bordeaux, le 23 février 2023, la façade de la permanence a été taguée en rouge d’un message anti-avortement par l’association « Action directe identitaire ». Le 23 mars, le Planning familial de Strasbourg était lui aussi tagué d’un message similaire. Ces attaques violentes et incessantes sont inadmissibles et démontrent les actions de l’extrême droite identitaire.
Plus généralement, les attaques contre les DSSR ont également lieu sur les réseaux sociaux et sur Internet. Les mouvements dits « pro-vie » ont lancé en 2008, des sites comme « Ivg.net » destinés à aider les femmes qui s’interrogent sur la possibilité de mettre fin à leur grossesse et à les influencer pour qu’elles ne fassent pas le choix d’avorter. C’est seulement en 2013 qu’a été initiée la première plateforme gouvernementale d’information et d’accompagnement à l’IVG nommée « Ivg.gouv.fr » puis en 2017, qu’a été étendu le délit d’entrave sur Internet. Afin de lutter contre ces campagnes de désinformation, le Planning Familial a également lancé en avril dernier son propre chat en ligne d’accompagnement et de soutien aux femmes qui souhaitent avorter.
Cependant, il existe une réelle asymétrie de moyens entre les mouvements anti-genre et les associations qui luttent au quotidien afin de garantir les DSSR. C’est pourquoi, le soutien à l’ensemble des associations, aux différentes campagnes médiatiques et la promotion de la sensibilisation dans le cercle familial est primordial. Il est également du ressort des parlementaires d’agir afin d’encourager une société égalitaire, inclusive et de garantir les libertés fondamentales des femmes. Pour exemple, la Délégation aux Droits des Femmes se tient régulièrement à la disposition des associations féministes afin d’échanger avec les acteurs de terrain sur les problématiques rencontrées et les pistes de réflexion envisagées. Dans de nombreux pays européens, les ces droits font l’objet d’attaques régulières comme à Malte où le droit à l’avortement se restreint au point que les médecins le pratiquant risquent 3 ans de prison, en Pologne où l’avortement n’est autorisé qu’en cas de viol, pratiques incestueuse ou malformation du fœtus. Ces mouvements doivent nous appeler à encore davantage nous mobiliser pour porter nos combats. C’est ce que nous faisons à l’Assemblée nationale puisqu’il y a à peine un an, nous votions pour l’allongement du délai d’avortement de 12 à 14 semaines.