Comme les élections municipales un an plus tôt, elles ont été marquées par un niveau d’abstention record qui doit toutes et tous nous interpeller. Bien entendu le contexte que nous connaissons ne doit pas être nié. Mais il ne peut à lui seul expliquer le désintérêt de nos concitoyens pour l’ensemble des élections locales, un désintérêt qui n’est par ailleurs pas nouveau et qui ne cesse de se creuser élection après élection. Illisibilité des institutions, de leurs compétences et des débats politiques qui animent leur vie, assèchement de notre vie politique qui est saturée par la surmédiatisation d’une seule élection, l’élection présidentielle, pratiques clientélistes des élus qui fuient les enjeux propres à notre époque, inexistence des droits de l’opposition au niveau local, désintérêt des citoyens rongés par leur frénésie consumériste qui perdent de vue leur citoyenneté et ce qu’elle implique au quotidien. Les raisons sont nombreuses et doivent être discutées. Car les conséquences sont problématiques.
Assesseur dans un bureau de vote à Vincennes lors des deux tours de ces élections, j’ai été frappé par l’incompréhension de votants face à ce double scrutin. Plus exactement, j’ai été frappé par le nombre de personnes qui découvraient le scrutin départemental en rentrant dans le bureau de vote. Il faut être clair, les Français ont en partie boudé les urnes parce qu’ils ne connaissent pas réellement ces institutions dont ils n’entendent pas ou quasiment pas parler au quotidien. Nous avions pris l’engagement en 2017 de clarifier les différents niveaux institutionnels, en particulier dans le Grand Paris. Force est de constater que nous ne l’avons pas fait. Nous nous sommes enfermés dans les schémas existants. Ce pour quoi nous n’avions pas été élus. A l’action, nous avons préféré rassurer les élus locaux pour qui les élections en 2017 ont représenté un véritable choc démocratique. Il nous faut aujourd’hui reprendre nos travaux sur le sujet.
Premièrement, fusionnons les départements et les régions en renforçant grandement leurs compétences et leurs budgets, et renforçons aussi le bloc communal en faisant des intercommunalités de véritables lieux de pouvoir et en encourageant fortement les fusions de communes au sein des intercommunalités. Sortons de la France des clochers et du millefeuille institutionnel.
Deuxièmement, comme le propose la présidente de la commission des lois Yaël Braun-Pivet, créons trois temps électoraux clairement identifiables. Un temps pour les élections nationales avec les élections présidentielle et législative, en passant celle-ci à la proportionnelle intégrale (ce dernier point étant un positionnement personnel). Un temps pour les élections locales, municipales et régionales. Un temps pour les élections européennes. Une telle clarification nous permettrait de donner de la lisibilité aux enjeux propres à chaque temps électoral. Cette clarification institutionnelle et électorale aurait un autre mérite, je pense, celui de revivifier notre démocratie qui est aujourd’hui totalement asséchée par une seule élection, l’élection présidentielle. C’est simple, on ne parle que de cette élection. A peine a-t-elle eu lieu que l’on pose immédiatement la question de la prochaine – qui pour succéder au président nouvellement élu ? Et tous les débats politiques ne se résument qu’à des positionnements politiciens par rapport à la prochaine élection présidentielle. Nous sommes collectivement drogués à cette élection et les conséquences négatives sont nombreuses, à commencer par l’entrave de l’action gouvernementale que cela entraîne et par l’effacement quasi-totale de la vie démocratique locale. Nous devons en sortir. Cela passe par un rééquilibrage des pouvoir avec un renforcement important du Parlement. Cela passe par une plus grande lisibilité des élections locales aussi. J’ajoute trois autres points. A tous les niveaux, le non-cumul des mandats dans le temps à trois mandats successifs. Au niveau local, le renforcement drastique des droits de l’opposition qui sont quasi inexistants, ce qui n’est plus acceptable. Nous ne pouvons pas continuer aujourd’hui à vivre dans une démocratie qui repose en partie sur un fonctionnement féodal digne de l’ancien régime au niveau local. Il nous faut enfin rendre indépendantes les rédactions en chef des journaux des conseils régionaux, départementaux, municipaux et stimuler la création d’une presse locale indépendante et forte. Car au cœur de toute démocratie il y a le rôle capital de la presse, de sa liberté, et que cela n’est pas le cas au niveau local aujourd’hui.
Je pointerais un troisième point : notre responsabilité collective en tant que citoyens. La démocratie ne se limite pas aux seules journées d’élections. Force est de constater qu’aujourd’hui notre société sombre dans l’individualisme consumériste. Un individualisme qui stimule les petits mécontentements permanents et beaucoup moins les solidarités collectives et la participation à la vie de la cité au quotidien. Nous devons nous ressaisir. Notre démocratie et notre modèle social sont des biens collectifs précieux qui nécessitent que nous nous y intéressions toutes et tous régulièrement, voire que nous nous y engagions quelle que soit la forme. Ici, je formule trois propositions. La première que nous reconnaissions davantage l’engagement associatif, syndical et politique dans notre pays. La deuxième, qu’à l’avenir les assesseurs pour tenir les bureaux de vote aux élections soient tirés au sort tout comme les scrutateurs pour dépouiller. La troisième que nous développions bien plus en profondeur la participation citoyenne à tous les niveaux et que nous poursuivions la rénovation des pratiques politiques. La citoyenneté, ce sont des droits et des devoirs que nous devons faire vivre au quotidien.