Seul le prononcé fait foi
Monsieur le Président,
Mes chers collègues,
La proposition de loi que j’ai l’honneur de rapporter devant vous renvoie à un devoir fondamental de l’État : assurer la sécurité des citoyens et le bon fonctionnement de nos services publics. Elle concerne des lieux dans lesquels les enjeux sécuritaires sont très spécifiques : les transports en commun.
Ce texte n’est pas nouveau pour notre Commission puisque son examen avait débuté et avait été stoppé par la dissolution. A l’époque j’en étais le responsable pour le groupe Renaissance et Clément BEAUNE en était le rapporteur, et je tiens à saluer ici le travail qu’il avait engagé. Ce travail, je l’ai donc repris et j’ai souhaité ouvrir un nouveau cycle d’auditions et de déplacements afin d’échanger avec l’ensemble des acteurs concernés par ce texte. Mes travaux sur cette proposition de loi m’ont finalement conduit à mener plus de 18 heures d’auditions et à entendre, dans ce cadre, près de 60 personnes.
Vous le savez, notre pays a accueilli les Jeux Olympiques et Paralympiques et je tiens à l’aune de nos débats à saluer la qualité du service de sûreté mis en place lors de cet événement majeur. Cela nous permet aujourd’hui un examen de ce texte éclairé, identifiant avec précision les réponses apportées par cette période à certaines questions existantes lors du premier examen au printemps 2024.
Permettez-moi d’ouvrir nos débats par un regard sur le contexte de ce texte. Depuis plusieurs années, les pouvoirs publics ont encouragé l’utilisation des transports collectifs. Ces efforts commencent à porter leurs fruits puisque leur utilisation augmente chaque année.
Toutefois, si les transports en commun sont devenus incontournables pour la mobilité de nombre de nos concitoyens, ils sont aussi profondément vulnérables. Les gares sont des lieux publics particuliers, souvent confinés et qui rassemblent une très forte concentration de personnes et sont, à ce titre, exposées aux incivilités, à la délinquance et au risque terroriste. Elles constituent également des carrefours d’échanges et d’activités variés. Elles sont donc des lieux structurellement fragiles.
Les véhicules de transport eux-mêmes sont des espaces spécifiques du point de vue de la sécurité : exigus et clos, parfois déserts ou, au contraire, très fréquentés aux heures de pointe. Dès lors, de nombreuses formes d’incivilité peuvent s’y développer qui contribuent au sentiment d’insécurité, de même que les vols, agressions ou encore les atteintes sexistes et sexuelles. Les femmes, tout particulièrement, peuvent s’y sentir menacées : en France, 87 % des usagères des transports en commun déclarent avoir déjà été victimes de harcèlement sexiste, de harcèlement sexuel, d’agressions sexuelles ou de viols.
Vous l’aurez compris : la question de la sécurité dans les transports est donc déterminante, aussi bien pour assurer la sécurité des usagers de ce service que pour garantir le bon fonctionnement du même service. D’après les données de l’Observatoire des mobilités de l’Union des transports publics et ferroviaires (UTP) pour 2023, la sécurité est le critère le plus important pour un usager lorsqu’il s’agit de choisir son mode de transport. Par ailleurs, ce que nous pourrions appeler un « continuum d’insécurité » dans les transports est la source de nombreuses interruptions de ligne et incidents en tout genre sur nos réseaux, ce qui perturbe fortement les trajets de concitoyens.
Permettez-moi d’abord de dresser un rapide état des lieux. Je veux le dire ici clairement, si les chiffres de la délinquance dans les transports diminuent, la gravité des actes, elle, augmente.
Un très fort sentiment d’insécurité est associé aux transports en commun : 32 % des personnes interrogées par l’UTP associent le terme « insécurité » aux transports publics. Le sentiment d’insécurité y est donc marqué.
Toutefois, au-delà du seul sentiment d’insécurité, les données indiquent également une insécurité réelle dans les transports en commun : pour la seule année 2023, nous recensons 90 889 victimes de vols sans violence, 6 416 victimes de vols avec violences, 7 620 victimes de coups et blessures volontaires, 2 407 victimes de violences sexuelles et 4 199 personnes dépositaires de l’autorité publiques victimes d’outrages et de violences. L’Île‑de‑France est particulièrement touchée, concentrant en général plus de la moitié des actes que je viens d’évoquer.
Le législateur s’est pleinement saisi de la question, avec l’adoption de la loi dite « Savary-Le Roux » de 2016. Le renforcement des effectifs de forces de l’ordre ces dernières années participe également à cette sécurisation. Ces actions commencent à porter leurs fruits : tous les chiffres de la délinquance dans les transports diminuent, à l’exception – qui est notable et insupportable – des violences sexuelles.
Il en reste que la situation demeure toujours préoccupante avec des faits de plus en plus graves :
– le nombre de victimes de violences sexuelles connaît une augmentation continue : + 4 % en 2023 par rapport à 2022 et + 18 % par rapport à 2018 ;
– les risques d’attentats terroristes dans les gares, les véhicules de transport ou leurs abords immédiats restent élevés : attentat à la gare Saint‑Charles de Marseille en 2017, attaques au couteau ou au marteau dans les gares du Nord en janvier 2023, de Lyon à Paris en février 2024 ou encore à Mulhouse en mars 2024 ;
– les opérateurs constatent le développement des comportements dangereux : la SNCF a constaté une multiplication par 3 des introductions d’objets dangereux sur les cinq dernières années ;
– les agents sont aussi de plus en plus pris pour cible : au sein de la RATP, les atteintes physiques sur les agents en mission de contrôle sur le réseau de surface ont augmenté de 8 % en 2023 ;
– le sentiment d’insécurité perdure et se renforce : dans son rapport d’enquête relatif au vécu et ressenti en matière de sécurité, qui repose sur des éléments déclaratifs et non sur des dépôts de plainte, le service statistique du ministère de la sécurité intérieure observe une hausse de 10 % du sentiment d’insécurité dans les transports entre 2022 et 2023.
Il est important d’avoir ce contexte en tête au moment où nous sommes amenés à examiner cette proposition de loi. Son auteur est le sénateur des Alpes‑Maritimes Philippe TABAROT que je salue pour son engagement et avec lequel j’ai, bien sûr, souhaité échanger en amont de nos débats. Elle a été adoptée le 7 février 2024 par la commission des Lois du Sénat, largement enrichie par les apports de la rapporteure, la sénatrice de l’Indre Nadine BELLUROT, puis par le Sénat en séance le 13 février 2024.
Cette proposition de loi porte des mesures concrètes et pragmatiques pour améliorer la situation de la sécurité dans nos transports publics. Elle peut, bien entendue, faire l’objet d’ajustements et d’améliorations. Je vous en proposerai moi-même un certain nombre.
Elle s’articule aujourd’hui autour de trois volets principaux.
Le premier est d’ordre régalien.
Le chapitre Ier est l’un des plus importants. Les articles 1ers à 3 renforcent les pouvoirs des agents de la Sûreté ferroviaire (« Suge ») et du GPSR, les services de sûreté de la SNCF et de la RATP. Tout en vous proposant d’améliorer et de compléter certaines dispositions, je ne souhaite pas renoncer à celles-ci, ni même les atténuer.
Le chapitre II inclue en particulier l’entrée d’Île‑de‑France Mobilités au centre de coordination opérationnelle de sécurité (CCOS) de la Préfecture de police de Paris. Même si je vous proposerai de revoir la rédaction du dispositif, je précise d’emblée que je suis en faveur de l’entrée d’IDFM au CCOS. Comme l’a signalé la présidente d’IDFM, Valérie Pécresse, que j’ai pu entendre lundi dernier sur ce sujet, l’absence d’IDFM au CCOS est une erreur stratégique que nous devons corriger.
Ensuite, vient un volet relatif à l’utilisation des technologies pour assurer la sûreté dans les transports.
A cet égard, le chapitre III constitue une avancée dans l’utilisation des outils numériques, voire de l’intelligence artificielle, pour assurer la sécurité dans les transports en commun. Les dispositions proposées font déjà l’objets de garanties solides pour les libertés fondamentales et m’apparaissent indispensables. Toutefois, elles ne me semblent pas toutes nécessaires dans un texte législatif. Je pense en particulier à l’article 9 sur l’utilisation de logiciels de vidéosurveillance a posteriori ayant recours à l’intelligence artificielle pour répondre à des réquisitions judiciaires ou à l’article 10 sur la collecte et le traitement de données sensibles.
Enfin, le troisième volet de ce texte concerne la réponse que nous pouvons apporter aux incivilités et aux fraudes dans les transports en commun.
Le chapitre IV, qui constitue le volet pénal de la proposition de loi, est sans doute celui sur lequel je vous propose les modifications les plus importantes par rapport à la version du texte adoptée au Sénat. Je vous proposerai ainsi de resserrer le délit d’incivilités d’habitude de l’article 12 ; de supprimer la peine complémentaire d’interdiction de paraître dans les transports en commun prévue à l’article 13, difficile à mettre en œuvre, et de réécrire l’article 14 avec une répression plus adaptée de l’abandon de bagages, qu’il soit intentionnel ou non. Je vous proposerai également de supprimer l’article 16, intimement lié à l’article 13 qui sera supprimé si vous suivez mes recommandations.
J’insiste également sur l’article 19, qui doit permettre de fiabiliser en temps réel les adresses des contrevenants. Je signale qu’aujourd’hui, le taux de recouvrement des amendes est extrêmement faible, alors même que la seule fraude représente une perte financière estimée entre 600 et 800 millions d’euros par an sur tout le territoire.
Pour terminer ce propos introductif mes chers collègues, un dernier mot sur le fond : contrairement à une idée préconçue, cette proposition de loi n’est pas centré sur la seule Île-de-France, même si cette région concentre, je l’ai rappelé, des enjeux de sécurisation spécifiques, au regard de sa démographie et de son réseau de transport sans équivalent.
J’ai d’ailleurs eu l’occasion de me rendre à Lille toute une journée, pour constater sur le terrain les missions et le grand professionnalisme des agents de la Suge.
Deux autres déplacements ont par ailleurs eu lieu, à Ermont à l’Université de la Sûreté de la SNCF, et à la maison de la RATP, afin de mieux appréhender les fortes exigences en matière de formation initiale et continue imposées à ces agents, et qui sont la condition justifiant leurs prérogatives étendues. Vous étiez d’ailleurs tous conviés à ces déplacements, que j’ai souhaité ouverts à l’ensemble de la commission.
Mes chers collègues, à l’issue de ces travaux, je suis profondément convaincu de la nécessité de légiférer sur ce texte.
Nous le devons à nos concitoyens qui attendent, à raison, des services de transports publics plus fiables et plus sûrs.
Je vous remercie.