En juin dernier était publié le rapport d’évaluation inter-inspections portant sur la Loi du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées. 40 000 personnes seraient en situation de prostitution aujourd’hui en France, majoritairement d’origine étrangère et de sexe féminin (85% de femmes, 10% d’hommes, 5% de personnes transgenres), victimes de traite ou sous l’emprise de réseaux et sans titre de séjour. La conclusion des inspections (IGAS, IGJ, IGA) est sans détour : cette Loi est protectrice mais insuffisamment appliquée. Là où avec volonté et moyens les dispositifs sont mis en œuvre, cette loi sauve des vies.
Violences sexuelles permanentes, stress post-traumatique, addictions pour tenir l’intenable, coups, vols et jusqu’aux meurtres… on estime que le taux de suicide des personnes prostituées est 12 fois plus élevé qu’en population générale (étude ProstCost, 2015). Les immenses profits pour les uns – proxénètes, réseaux et clients – vont de pair avec des coûts humains inacceptables. La violence est inhérente à la prostitution. Les survivantes de la prostitution en témoignent. Et ce constat était au cœur de la résolution de l’Assemblée nationale adoptée à l’unanimité en 2011 pour réaffirmer l’horizon abolitionniste de la France.
La crise du Covid-19 a de nouveau levé le voile sur cette précarité extrême. Le moment est critique et des personnes saisissent courageusement cette crise pour envisager leur futur en dehors de la prostitution. Les demandes d’accompagnement pour en sortir augmentent. Dans le même temps, tous les clignotants sont au rouge quant à la précarité des jeunes et à la banalisation de la prostitution. Les actions prises ou non aujourd’hui pour prévenir l’entrée en prostitution détermineront donc si nous aurons sacrifié une génération de filles et garçons condamné·es à l’exploitation sexuelle. Le ministre Taquet parlait l’an dernier de « 10 000 enfants victimes de prostitution infantile ». Perdre des mois, c’est accepter de voir ce nombre croitre. Nous refusons cette fatalité.
Le récent rapport d’évaluation est le fruit d’un long et méthodique travail : nombreuses visites de terrain, près de 300 entretiens avec toutes les parties prenantes, et les retours de questionnaires adressés aux préfets, parquets et ARS. Le défaut ou l’hétérogénéité d’application de la loi sont mises en cause, pas la loi en elle même. Lorsque la loi de 2016 est appliquée elle est efficace. Des résultats déjà significatifs sont enregistrés : 395 personnes bénéficiaires d’un parcours de sortie de la prostitution (chiffre de juin 2020), ouvrant le droit à un titre de séjour, un accès prioritaire au logement et à une aide financière; hausse de 54% des procédures pour proxénétisme et lutte contre la traite des êtres humains; multiplication par 7 des indemnisations des victimes; près de 5000 clients interpellés, et ce afin de tarir la demande sans qui l’exploitation ne serait pas possible.
N’attendons plus pour amplifier ces résultats, partout dans l’hexagone et les outre mer. Nous pouvons décider des moyens de cette ambition, en particulier en mobilisant pleinement les avoirs saisis et confisqués en matière de traite des êtres humains et de proxénétisme – 16 millions d’euros rien qu’en 2017 et 2018. L’heure est à l’action, plus aux énièmes débats ou rapports. Les inspections formulent 28 recommandations précises pour renforcer le pilotage et la mise en œuvre de cette politique publique.
Parlementaires en exercice ou ex parlementaires ayant été à l’initiative de cette loi, de diverses sensibilités politiques, nous appelons le Gouvernement à réunir urgemment le comité de suivi interministériel, conformément à la première recommandation du rapport d’évaluation. Cette instance ne s’est plus réunie depuis juin 2017. Quant au Parlement, nous souhaitons qu’il puisse, en responsabilité, jouer tout son rôle dans le contrôle, en particulier budgétaire, de la mise en œuvre des recommandations des inspections.
En pleine cohérence avec l’actuel combat des femmes contre les violences et pour l’égalité, cette loi honore notre pays. D’ailleurs, 78 % des Français et Françaises la soutiennent (Ipsos, 20 janvier 2019). Ne soyons pas dupes, le jeu de l’immobilisme fait le jeu des plus forts au détriment, dans l’immense majorité des cas, de jeunes femmes vulnérables, françaises, étrangères, et souvent mineures. Gagnons la course contre la montre qui nous oppose aux réseaux mafieux, des plus organisés aux plus artisanaux. Ils prospèrent là où la société échoue. N’ayons pas la main qui tremble face aux graves violations des droits humains en jeu, au premier rang desquels l’égalité des femmes et des hommes et le droit à une vie libre de violences.
Danielle Bousquet, Catherine Coutelle, Guy Geoffroy, Maud Olivier, ex-parlementaires,
Laurence Cohen, sénatrice PCF,
Charles de Courson, député Les Centristes,
Stella Dupont, députée LREM,
Albane Gaillot, députée Ecologie Démocratie Solidarité,
Guillaume Gouffier-Cha, député LREM,
Sacha Houlié, député LREM,
Laurence Rossignol, sénatrice PS et ancienne ministre
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